Expertise d'assurance en art et joaillerie : estimer l'inestimable après sinistre

Lorsqu’un bijou rare disparaît ou qu’une œuvre d’art est endommagée, déterminer sa valeur devient un véritable défi. Contrairement à une simple estimation marchande, l’expertise d’assurance dans ces domaines très particuliers repose sur la reconstitution d’une valeur de remplacement, souvent sans l’objet physique sous les yeux.
En tant qu’expert d’assurance certifié depuis 2008, je souhaite ici expliquer les spécificités de notre métier et les pièges à éviter, notamment face aux expertises parfois imprécises des joailliers ou galeries.
Le rôle de l’expert d’assurance spécialisé
Mandaté par la compagnie d’assurance après un sinistre (vol, incendie, dégâts divers), l’expert d’assurance a pour mission d’évaluer objectivement les pertes subies par l’assuré.
Dans le secteur des bijoux et des œuvres d’art, cette mission se complexifie : l’objet est souvent disparu, endommagé ou non restauré, et l’évaluation se base sur un dossier documentaire (photos, certificats, factures, expertises antérieures…).
Notre objectif n’est pas d’atteindre une valeur de vente espérée, mais de définir une valeur de remplacement raisonnable, en conformité avec les conditions prévues au contrat d’assurance.
Travailler sans objet : une expertise d’enquête
Face à la disparition ou à l’altération d’un bien précieux, l’expert d’assurance doit procéder méthodiquement :
Analyse critique des documents transmis tels que l’inventaire préalable ou la définition d’une oeuvre d’art (lire notre précédent article ici)
Vérification de l’authenticité et de la provenance
Estimation fondée sur le marché secondaire (ventes aux enchères, antiquaires spécialisés) et non sur des prix de boutique « neuf »
Ajustement selon l’état antérieur (usure, restaurations antérieures…)
Il ne s’agit pas seulement d’évaluer un prix : il s’agit de reconstituer la valeur économiquement pertinente, dans un cadre légal strict.
Les limites des expertises délivrées par les joailliers
Dans bien des cas, les assurés présentent des attestations délivrées par des joailliers.
Or, plusieurs problèmes majeurs apparaissent :
Prix basé sur du neuf : les joailliers se basent souvent sur leurs tarifs boutique, sans intégrer la décote naturelle liée au marché de l’occasion ou à la fluctuation des métaux précieux et des pierres.
Absence de détails techniques : certaines attestations ne précisent pas les poids exacts des pierres, les caractéristiques précises (pureté, couleur, origine) ou la signature du créateur, autant d’éléments essentiels pour justifier la valeur.
Marché non adapté : alors que les contrats d’assurance couvrent le plus souvent sur la base de la valeur sur le second marché (ventes aux enchères, revente spécialisée), une expertise basée uniquement sur des prix « neuf boutique » ne correspond pas juridiquement à la réalité de l’indemnisation.
C’est pourquoi l’expert d’assurance doit recouper, valider, ou ajuster ces attestations, en justifiant rigoureusement chaque évaluation.
Expert d’assurance vs Expert d’assuré : deux rôles complémentaires mais différents
L’expert d’assurance intervient pour appliquer le contrat d’assurance selon ses clauses et vérifier la réalité des pertes.
L’expert d’assuré, quant à lui, est mandaté directement par l’assuré pour défendre ses intérêts, constituer son dossier, et négocier une indemnisation plus favorable.
Sa rémunération est généralement basée sur un pourcentage de l’indemnité obtenue, contrairement à l’expert d’assurance, payé selon un barème fixe établi par les compagnies. (précédent article sur le sujet : ici)
Chacun a sa fonction, mais leur déontologie respective impose une transparence des méthodes et une rigueur dans l’évaluation.
Les enjeux spécifiques en art et joaillerie
Valeurs volatiles : la cote d’un artiste contemporain ou la valeur d’une pierre précieuse peut fluctuer.
Restaurations : une œuvre restaurée conserve une valeur différente d’une œuvre intacte ; il faut savoir quantifier cette dépréciation.
Fraudes potentielles : surévaluation volontaire, faux certificats, fausses provenances sont des risques à contrôler.
Marché international : parfois, certaines références de prix doivent être cherchées hors de France pour rester pertinentes mais nous ne pouvons nous baser sur une seule source.
Conclusion : une expertise rigoureuse pour une indemnisation juste
L’expertise d’assurance dans les domaines des bijoux et des œuvres d’art est avant tout une enquête technique, une analyse de marché, et une application stricte du contrat.
Elle doit s’appuyer sur des preuves solides, sur des méthodologies reconnues, et sur une éthique professionnelle sans faille.
Seule cette approche rigoureuse permet d’assurer une indemnisation juste pour l’assuré… tout en préservant la confiance dans la chaîne d’assurance.
En tant que consultant, j’accompagne les services de souscription et de gestion de sinistres de compagnies d’assurance ainsi que les experts généralistes dans l’évaluation d’objets de valeur et/ou leur revente.